Portrait de vigneron : Jean-Luc Soubie

Anne Lataillade, célèbre blogueuse de Papilles et Pupilles, nous emmène au château de Lisennes, à quelques kilomètres de Bordeaux, à la rencontre de son gérant, Jean-Luc Soubie.

 

Le château de Lisennes appartient à la même famille depuis 4 générations. Son gérant actuel, Jean-Luc Soubie, est l’arrière-petit-fils du fondateur. Notre rencontre s’est faite juste après le 15 août, quelques semaines avant les vendanges qui s’annonçaient précoces.

Château de Lisennes ©Anne Lataillade

Je suis né sur la propriété m’a expliqué Jean-Luc. Je ne me destinais pas à la production agricole mais j’ai commencé à vendre du vin alors que j’étais en classe préparatoire à Bordeaux et j’ai continué ensuite alors que j’étais étudiant à Lille. J’avais monté une structure de négoce pour pouvoir commercialiser les vins de mon père. Je les vendais à mes profs, à des cavistes en Belgique, je faisais le London Wine etc.

A la sortie de mon Ecole de commerce (Edhec), j’aurais aimé partir à l’étranger et j’avais une proposition de travail chez Michelin au Japon mais finalement je suis revenu à Bordeaux. J’étais trop attaché à la terre et au produit. J’ai fait une formation en dégustation (le Duad) pour compléter mon cursus.

Est-ce que prendre la suite de votre père s’est avéré compliqué ?

J’ai changé beaucoup de choses 🙂 . Mon père qui était œnologue avait planté toutes les vignes sur la propriété. A l’époque il vendait tous les vins en vrac au négoce bordelais. Quand je suis arrivé, j’ai abandonné le vrac pour la bouteille. Cela s’est fait petit à petit en développant une nouvelle clientèle. Aujourd’hui je vends 50% de nos vins à l’export et 50% en France, à une clientèle traditionnelle : particuliers, restaurateurs, cavistes.

Jean Luc Soubie - Château de Lisennes ©Anne Lataillade

Vos vignes sont pour parties en bio, pour partie HVE3 etc. Qui a été à l’origine de ce changement ?

C’est moi. C’était une volonté personnelle, depuis le début. Mon père n’était pas du tout pour au départ. Il pensait qu’on n’y arriverait pas, que l’on ne ferait pas les rendements. Et pour les personnes de sa génération, c’est une révolution. Quand on a travaillé toute sa vie d’une certaine façon, il est compliqué de changer.

Comment avez-vous procédé ?

Par petites touches 🙂 . Il y a eu d’abord la certification en agriculture raisonnée, puis Terra VITIS (cela fait maintenant plus de 20 ans) et nous avons été les premiers à être HVE niveau 3. Une fois ces étapes franchies, je me suis dit que je pouvais aller plus loin. Et aller plus loin, c’était passer en bio. J’ai donc commencé il y a 10 ans sur une parcelle isolée de 7 hectares, plantée en Merlot.

Est-ce que cela a été difficile ?

Oui, parce que j’allais contre la volonté de mon père. J’avais donc une très forte pression sur les épaules. Il fallait que je réussisse à faire un vin bio, bon, avec le même rendement. Parce que dans nos petites appellations, si on ne fait pas le rendement on ne s’en sort pas. Et faire du bio à Bordeaux n’est pas évident. Le climat est océanique, il pleut. C’est plus compliqué de faire du bio ici qu’au Chili ou dans le sud de l’Espagne. Mais je suis bien entouré. J’ai un chef de culture, un maître de chai, un œnologue et un consultant vinicole très axé bio.

Panneaux solaires Château de Lisenne

Comment s’est traduit ce passage en bio côté vigne ?

Il a fallu travailler les sols différemment et utiliser les seuls traitements possibles, le soufre et le cuivre. Nous avons changé nos méthodes de travail et embauché. Quand vous traitez avec des produits phytosanitaires de synthèse, vos vignes sont protégées 15 jours. Alors qu’en bio, si vous traitez le vendredi et que le samedi il pleut, il faut recommencer. Et si le dimanche il pleut à nouveau, il faut repasser sous peine de perdre une partie de la récolte. Un tractoriste doit donc toujours être disponible

En plus de l’investissement humain et matériel (nous avons aussi mis sur nos toits des panneaux solaires pour produire notre propre électricité), nous avons replanté des haies, introduit des nichoirs à chauve-souris. Nous allons bientôt implanter des ruches et nous travaillons avec la LPO sur un projet avec des hérissons. Nous faisons tout pour augmenter la biodiversité et minimiser notre impact sur l’environnement.

Nous avons donc changé beaucoup de choses mais nous avons prouvé qu’on pouvait y arriver. D’ailleurs, il y a 3 ans, j’ai décidé de passer 10 hectares supplémentaires en bio et ils seront officiellement certifiés l’an prochain. Cela en fera 17 ha sur les 56 que compte la propriété.

Et côté vinification ? 
J’ai sorti une cuvée sans sulfite. Je protège le vin par le froid et là aussi, j’ai prouvé que c’était possible. Ce vin se vend très bien. Cette année, j’en fais 2 fois plus.

Est-ce qu’il a fallu trouver de nouveaux circuits de distribution ou bien vos clients sont-ils restés les mêmes ?

J’avais pensé au départ que mes vins bio se vendraient aux mêmes clients et finalement pas du tout. Quand on leur annonçait que l’on passait en bio, ils trouvaient cela très bien mais quand on précisait que le prix allait augmenter de 15 à 20%, ils optaient pour le conventionnel. Nous sommes donc allés chercher une nouvelle clientèle que nous n’avions pas il y a 10 ans : petits magasins bios, nouveaux cavistes, particuliers, restaurants etc.

Dans les vignes Château Lisennes ©Anne Lataillade

Comment voyez-vous le Bordeaux de demain ?

Il faut que Bordeaux change. Aujourd’hui on ne vit plus de notre métier. J’ai un bordereau de vente en vrac de mon père datant d’il y a 30 ans. Le prix à l’époque était plus élevé qu’aujourd’hui alors que cela nous coûte au moins 30 % de plus. Cela n’est pas normal.

Plusieurs axes sont pour moi à développer :

Il faut subventionner l’arrachage des vignes. On a beaucoup trop planté ces dernières décennies et aujourd’hui l’offre surpasse la demande, surtout que celle-ci s’est tassée : Bordeaux bashing, développement de la concurrence internationale, baisse de la consommation.

Il faut que le style de nos vins change. Dans le monde entier, il a évolué. Il y a 20 ans les américains voulaient des vins très mûrs et très boisés. C’était la mode Parker. Aujourd’hui ce n’est plus du tout le cas. Le consommateur souhaite des vins plus fruités, plus légers, si possible moins alcoolisés. A Lisennes, nous ne vendons plus le même style de vins qu’avant. J’ai gardé une cuvée, l’Esprit de Lisennes, qui est puissante, boisée et on a une clientèle pour cela mais ce n’est pas avec elle que je vais chercher un consommateur de 25 ans. Par contre avec mon vin bio, sans soufre, je le touche.

Il faut aller vers le bio : On n’a pas le choix, tout le monde y va.

Et il faut faire savoir que Bordeaux fait des vins différents, que nous avons changé, que nous avons fait beaucoup d’effort pour l’environnement et que le nombre de propriétés engagées en HVE3 est important. Cela prend du temps mais aujourd’hui, moi qui connais bien les vins étrangers, je peux vous dire que nous avons depuis quelques années à Bordeaux un rapport qualité prix exceptionnel.

 

Parlez-moi de votre Crémant. Est-ce l’une de vos réalisations ou votre père en faisait-il déjà ?

C’est moi qui l’ai lancé l’année de mon mariage. J’en avais besoin pour notre apéritif :-). C’est un marché en augmentation, les vins effervescents fonctionnant très bien en ce moment. Certes, nous ne bénéficions pas de la notoriété historique des Crémants d’Alsace ou de Bourgogne, mais nous avons un vrai savoir-faire et nous sommes très bien positionnés en termes de prix. Nous avons développé également un Crémant Rosé qui plait également beaucoup.

Quel est le meilleur moment de consommation pour votre Crémant blanc primé, qui a reçu l’Oscar des Bordeaux de l’été ?
A l’apéritif ou en dessert. Cela n’est pas original mais pour moi ce sont les meilleurs moments.

Crémant de Bordeaux - Château Lisennes ©Anne Lataillade

Quel est votre meilleur souvenir lié au vin ?
Il n’est pas lié à un vin en particulier mais à un moment de dégustation. Je me suis occupée de l’association des anciens élèves de l’Edhec pour le sud-ouest. Il se trouve qu’Alexandre de Lur Saluces a fait la même école que moi et il nous a donc reçu personnellement à Yquem, dans les salons du Château. Nous avions goûté les millésimes 1983 et 1988. Un très grand moment.

 

Vous êtes plutôt….

Rosé ou Clairet ?

Les deux. Nous faisons du Clairet depuis 40 ans et nous avons une vraie carte à jouer à Bordeaux avec ce vin. J’espère que la mode va revenir. C’est comme un rouge léger, il peut se boire frais, accompagner un repas. Il pourrait vraiment être dans la tendance. Quand on le fait goûter, les retours sont très positifs.

Vin d’assemblage ou de cépage ?

Les 2. Le consommateur étranger a été éduqué aux vins de cépages par les Chiliens notamment. Il y a 30 ans un vin Chilien, cela ne voulait pas dire grand-chose. Alors ils ont noté les cépages sur leurs étiquettes : Sauvignon, Chardonnay, Merlot etc. Le consommateur anglais ou américain s’est habitué à cela et un vin d’assemblage, cela ne lui parle pas forcément. Nous continuons bien sûr à faire des vins d’assemblage mais cette année nous avons sorti une cuvée 100% Cabernet Franc.

Bouteilles ou bibs ? 

Les 2 ! la demande de bibs explose. Il faut bien se dire que le consommateur de bib d’aujourd’hui n’a rien à voir avec le consommateur de cubitainers d’hier. C’est un format tout à fait adapté à des gens qui boivent un verre de temps en temps contrairement à la bouteille où le vin s’oxyde s’il n’est pas conservé dans de bonnes conditions. Nous commercialisons 3 vins en bibs : le Bordeaux rouge classique (5 et 10 litres), le Bordeaux rouge bio (3 litres) et le Clairet (5 litres).

Arcachon ou Cap Ferret ?

Plutôt Arcachon, mais je n’y vais pas souvent. 2 fois par an en moyenne.

Philippe Etchebest ou Gordon Ramsay ?

Quand vous habitez rive droite il n’est pas toujours aisé de traverser la Garonne et de se garer à Bordeaux. J’ai un très bon souvenir de la cuisine de Philippe Etchebest quand il était à Saint Emilion. A proximité, je vous conseillerai le Papadam à Fargues Saint Hilaire, Les pieds sous la table à Tresses, l’O à la Bouche à Yvrac, l’Auberge du marais à Bouliac et puis 2 étoilés : La cape avec Christophe Girardot et Le Prince noir de Vivien Durand.

Facebook ou Twitter ?

A titre personnel je ne suis pas sur les réseaux sociaux mais nous devons y être à titre professionnel. Nous sommes présents sur Facebook, nous n’avons pas le choix. J’ai d’ailleurs embauché un jeune qui a entre autres pour missions de s’en occuper et de développer notre présence en ligne.

 

Merci Jean Luc.

 

Château de Lisennes

1 Domaine Lisennes, Chemin de Pétrus, 33370 Tresses
• Un site web : www.lisennes.fr
• Une page Facebook : @lisennes